Le COVID-19 catalyse la transformation digitale des Institutions de Microfinance

Ciprian Panturu est associé du cabinet de conseil PHB Development. Il est consultant en développement d’affaires et planification financière, avec une solide expérience dans les finances des Opérateurs de Téléphonie Mobile (OTM) et des IMF. Ciprian est expert dans le développement de plans d’affaires sur mesure pour le lancement de canaux digitaux tels que mobile money ou la banque à distance, ainsi que la mise en place et la gestion de réseaux d’agents.

Ciprian Panturu (PHB Development), interviewé pour cet article, est intervenu lors de la session “nouvelles frontières : défis et opportunités de la digitalisation”.

Face aux mesures de confinement et de restrictions de déplacement implantées dès mars 2020, le secteur de la microfinance a dû s’adapter et prendre des mesures rapides. Ciprian Panturu est spécialiste de la transformation digitale pour PHB Development. Basé en Ouganda, il revient sur cette année particulière et sur la manière dont la pandémie de COVID-19 a impacté les stratégies de digitalisation des institutions de microfinance.

Comment la crise du COVID-19 affecte-t-elle les stratégies de digitalisation dans le secteur de la microfinance ?
Depuis une dizaine d’années, les bénéfices potentiels de la digitalisation sont clairement identifiés mais on a du mal à les prouver à grande échelle. Avec la crise du COVID-19, il y a une attention particulière portée à la transformation digitale, surtout au niveau des canaux de distribution.
Auparavant, les IMF étaient plus ou moins prêtes à faire le pas vers le digital. L’approche choisie était de développer des stratégies de transformation digitale à moyen ou long terme, qui nécessitaient des investissements importants – en temps et ressources – contre la promesse de bénéfices dans le futur. Mais une fois que la crise a commencé, toutes les IMF, ainsi que les banques, ont cherché des solutions rapides pour augmenter l’accès à distance aux services financiers : elles sont passées de la théorie à la pratique, poussées par les besoins de leurs clients.
Dans ce contexte, je m’attends à ce que les IMF continuent d’adopter une approche flexible et orientée « solutions rapides ». Quand elles voient qu’au bout de 1 ou 2 mois elles parviennent à créer un nouveau canal de distribution et que les clients l’adoptent en masse, elles ont envie d’en faire encore plus.

Ene fois que la crise a commencé, toutes les IMF, ainsi que les banques, ont cherché des solutions rapides pour augmenter l’accès à distance aux services financiers : elles sont passées de la théorie à la pratique, menées par les besoins de leurs clients.

Pourriez-vous nous donner des exemples de canaux de distribution qui ont été plébiscités par les IMF avec lesquelles vous travaillez ?
Ce que j’ai observé très clairement, c’est que même les IMF qui n’avaient jamais touché au digital ou parlaient de plans à long terme ont dû se lancer rapidement. En mars dernier, l’Ouganda a vécu un confinement total et accéder aux agences bancaires ou même aux agents était difficile. Cette situation a poussé les clients à utiliser leurs téléphones portables et à faire les transactions eux-mêmes. Les IMF ont commencé par une simple intégration avec des porte-monnaies électroniques (mobile money) afin que les clients puissent par exemple rembourser leur crédit avec leur téléphone. En Ouganda, c’est un service relativement basique. Bien que les télécoms disposaient des outils nécessaires pour ces intégrations, il a fallu la situation extrême actuelle pour que certaines institutions se lancent.

Auparavant, on cherchait à faire des intégrations complexes pour offrir des solutions complètes, en suivant des modèles en cascade « tout ou rien ». Mais avec la crise, on a observé un fort besoin immédiat pour le remboursement de crédit : cela nous a ouvert la voie à l’adoption de méthodologies agiles pour livrer des projets digitaux. Une intégration partielle n’est pas parfaite, mais elle a l’avantage de répondre rapidement aux besoins les plus urgents pendant que d’autres services financiers sont ajoutés progressivement.

Dans le cas de l’Ouganda, la banque centrale n’autorise pas les IMF à développer leur propre réseau d’agent, seulement les banques commerciales peuvent le faire. Lorsque les mesures de restriction ont été partiellement levées, certaines IMF ont commencé à s’intéresser à ce canal et ont cherché des solutions pour en bénéficier. Par exemple, je travaille avec une IMF qui est entrée en partenariat avec une banque commerciale afin d’utiliser son réseau d’agents déjà existant au lieu de tenter d’un implémenter un par elle-même. Au bout de 2 mois de pilote, nous sommes arrivés à plus d’un million USD en valeur de transactions à travers ce canal ; deux mois plus tard, nous en étions à plus d’un million USD chaque mois. Pour les IMF, avec un temps si réduit pour tirer parti d’une solution tellement complexe, n’est possible qu’à travers des partenariats – et cela est bénéfique pour toutes les parties prenantes.

La pandémie nous a ouvert les yeux quant au potentiel du digital de manière très pratique et il y a un véritable élan qui s’est créé. Les clients sont plus que jamais prêts à tester ces solutions.
La pandémie nous a ouvert les yeux quant au potentiel du digital de manière très pratique et il y a un véritable élan qui s’est créé. Les clients sont plus que jamais prêts à tester ces solutions. Nous avons réalisé qu’il y avait un fort besoin de changer l’approche traditionnelle d’implémentation pour intégrer plus d’agilité et qu’il fallait qu’on accélère la livraison de services digitaux au marché. Le succès de la mise en place rapide de ce type de solutions donne envie d’aller plus loin et pousse davantage à la digitalisation. On peut cependant se demander ce qui viendra après, si ce mouvement se poursuivra dans le temps… ce qui est certain, c’est qu’on est sur la bonne voie !

Ces changements sont très rapides, seulement en quelques mois. Comment être certain qu’ils soient inclusifs ?
La grosse différence par rapport au passé, c’est cette demande très claire du côté client. C’est à travers les crises que les gens sont prêts à changer leurs habitudes de manière durable.
Pendant longtemps, on a fait du push de technologie en proposant de nouveaux canaux, afin que les clients n’aient plus besoin d’aller en agence, par exemple. Mais ces derniers changent leurs habitudes à leur rythme. Les IMF étant en général bien déployées sur le territoire, ils ne voyaient pas toujours l’intérêt d’adopter des canaux digitaux – à moins d’en avoir vraiment besoin. De plus, une faible adoption au lancement de ces solutions mène aussi à une perte de focus sur la qualité de service offerte, qui contribue à la résistance à l’adoption ultérieure : c’est un cercle vicieux qui se forme. Je m’explique avec un exemple concret : nous mettons en place un réseau d’agents bancaires, mais vu l’utilisation limitée du canal au début les agents négligent l’investissement en liquidité. Lorsque les clients commencent enfin à se tourner vers ce canal, ils ne sont pas correctement servis donc ils vont se retourner à nouveau vers les canaux traditionnels. En conclusion, plus la durée pour arriver à une masse critique d’adoption est long, plus les chances de transformation durable et changement d’habitudes sont réduites.

Dans le contexte du COVID-19, le temps disponible pour les clients est limité et précieux en raison du confinement. Il faut donc choisir ses priorités entre travailler, faire ses courses, prendre soin de la famille etc. Aller à la banque est donc moins prioritaire et a un coût d’opportunité important. Les clients sont poussés à changer leurs habitudes pour interagir avec leur banque autrement, ils sont donc prêts à utiliser leur téléphone ou à aller voir un agent pour rembourser leurs crédits, épargner, faire des paiements etc. C’est cette demande des clients qui constitue une grande différence et qui est également vectrice d’inclusivité, en attirant de plus en plus de gens dans l’espace d’échange digital.

C’est cette demande des clients qui constitue une grande différence et qui est également vectrice d’inclusivité, en attirant de plus en plus de gens dans l’espace d’échange digital.
Comment faire face aux barrières à la digitalisation qui existaient déjà avant la pandémie ?
Heureusement, les institutions financières ont plutôt bien fait face aux défis présentés par la crise. Je m’attends à ce qu’elles gagnent en confiance auprès de leurs clients. Il y a des challenges autour du taux d’alphabétisation ou de l’éducation financière, qui ne vont pas disparaître, mais il y a des solutions comme les transactions assistées par des agents qui sont davantage utilisées depuis la pandémie et permettent de mitiger leur portée.

Concernant les moyens de communication, les prix des téléphones portables continuent à baisser. Les solutions digitales considérées sont la plupart du temps adaptées aux téléphones basiques, qui sont largement utilisés dans les régions rurales vu leurs atouts par rapport aux smartphones (e.g. sensitivité de connexion, durée de la batterie, robustesse générale). La plupart des gens ont un téléphone, ou du moins ils y ont accès dans leur famille ou leur communauté.

Une barrière de taille a, de mon point de vue, été adressée : nous avons tous été impactés par la pandémie, de Washington DC à Vientiane, de la City à Londres au camp de réfugiés à Yumbe. Nous avons une référence commune où nous avons tous eu à nous adapter – d’une manière ou d’une autre – à des solutions digitales qui finissent par nous faciliter la vie. L’intérêt de changer nos habitudes a trouvé sa place et résonne actuellement autour du monde.

Quelles tendances prévoyez-vous pour la digitalisation du secteur de la microfinance ? Comment faire en sorte que cet élan lié au COVID-19 dure dans le temps ?
L’approche rapide d’implémentation sous pression que certaines IMF ont dû adopter durant cette période, qui permet de passer au digital avec des résultats quasi immédiats, est un très bon catalyseur pour plus de digitalisation à l’avenir.

On a réalisé que le digital est très important et qu’on peut l’utiliser pour répondre à des besoins précis et immédiats, par exemple pour assurer des moyens de remboursement du crédit même en situation de confinement. Il y a des solutions, des résultats concrets et rapides qui sont très appréciés par les IMF. Le digital, ce n’est plus de la théorie. C’est très concret, on a eu un problème et on contribue à le résoudre avec des moyens digitaux.

J’entrevois un changement dans l’approche de l’implémentation des stratégies digitales et davantage de partenariats entre les IMF, les banques et les télécoms. Je suis content de voir qu’il y a une ouverture aux partenariats car le risque de conflit est limité tout d’abord par des bénéfices immédiats et la mutualisation des coûts liés au digital, versus le cas où chaque institution développe la même solution en parallèle.

Il est également crucial de rester souple dans le déploiement de ces solutions. C’est ce qui va alimenter l’intérêt d’aller de plus en plus loin et d’adresser d’autres défis à l’aide de solutions digitales. Comme par exemple la collecte d’information pour de nouveaux clients à travers les clients existants ; l’automatisation des processus de crédit afin de réduire le temps et accroître la fiabilité des analyses ; l’interaction adaptée avec le client pour répondre à leurs besoins spécifiques, juste pour donner quelques exemples. Cette souplesse change beaucoup l’attitude des IMF face au digital, il y a désormais l’envie et l’opportunité de dépasser leurs limites organisationnelles, de revoir leurs procédures en profondeur et d’accomplir leur mission au mieux à l’aide des nouvelles technologies. Comme on dit, “l’appétit vient en mangeant”!

Source : CGAP

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